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Molière , au point de vue de l’intrigue, est l’élève des Italiens. Il sait construire une pièce avec une remarquable
aisance, en faisant naître les incidents les uns des autres, en donnant aux entrées
et aux sorties de ses acteurs les motifs à la fois les plus vraisemblables et les plus propres à piquer notre curiosité. On
ne saurait accepter sur ce point les reproches que lui adressent certains critiques ; rien n’est plus amusant qu’une
intrigue de Molière. Mais il faut bien remarquer que Molière, dans les pièces de caractère , ne s’attache guère à l’intrigue
pour elle-même, et qu’il la subordonne presque entièrement à l’étude psychologique. Il s’efforce de placer
ses personnages principaux dans une série de situations, qui solliciteront successivement toutes les parties de leur caractère.
Ainsi, il nous montrera la misanthropie d’Alceste aux prises avec l’amitié
fidèle et la douce philosophie de Philinte, avec la fatuité d’Oronte, avec la coquetterie de Célimène , avec l’étourderie
de son valet , etc. Il nous présentera Philaminte , la femme savante comme maîtresse de maison, comme épouse,comme mère, comme
admiratrice de Trissotin et de Vadius. Harpagon sera successivement et alternativement
la père de famille ,l’usurier,le vieillard amoureux . Supposez un « corps
composé » que l’on soumet, en chimie, à une série de réactifs pour en séparer tous les éléments simples. –
Aussi ,cette opération terminée, et lorsque Molière est bien sûr d’avoir décomposé suffisamment son personnage, brusque-t-il
le dénouement . Il accepte avec une réelle indifférence , la plupart du temps, les dénouements à l’italienne , les reconnaissances
suivies de mariage , dans l’École des femmes,l’Avare, les Fourberies de Scapin. La conclusion des Femmes savantes
est celle d’un vaudeville ; le châtiment de Tartuffe est peu vraisemblable ; le Bourgeois gentilhomme et le Malade
imaginaire sombrent dans la bouffonnerie. – Mais il vaut savoir distinguer
la dénouement scénique du dénouement réel : celle-ci est toujours indiqué de la façon la plus nette ; et il est
à l’adresse des spectateurs raisonnables et réfléchis. Le vrai dénouement du Bourgeois gentilhomme ,c’est que
M. Jourdain est devenu fou ; celui des Femmes savantes , c’est que Chrysale est incapable de résister, et que le
pédantisme féminin désorganise la famille, car Armande en reste la victime ;
celui de Malade imaginaire ,c’est que Arman est moralement incurable ; celui de l’Avare n’est pas dans
la reconnaissance de Thomas d’Alburci et de ses enfants, mais dans le mot d’Harpagon : « Allons revoir
ma chère cassette ! » Une seul pièce, le chef – d’œuvre, se passe de dénouement artificiel , c’est
le Misanthrope : aussi est-ce le type achevé d’une action telle que la concevait Molière ;c’est sa « pièce
de connaisseurs » . Quand , au lieu de s’attacher aux ridicules superficiels et éphémères , ou creuse très avant
dans les vices ou dans les travers d’un homme , on est bien obligé de le laisser au dénouement tel qu’il était
à la première scène : la situation a chargé , le caractère est resté immuable .
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