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Le tragique dans Molière
Et, comme c’est la vie, c’est au fond beaucoup plus triste que risible . Musset a
excellemment défini : Cette mâle gaîté si triste et si profonde que lorsqu’on vient d’en rire, on
devrait en pleurer. Il n’est pas une grande comédie de Molière, l’École
des femmes , le Misanthrope,l’Avare,les Femmes savantes, et certaines farces, comme le Bourgeois gentilhomme et le Malade
imaginaire, qui ne contiennent , en puissance, un véritable drame. Un tuteur
bafoué, loyalement amoureux d’une « petite peste » ; un brave homme comme Alceste, jouet d’une
coquette ; un père , Harpagon, détesté par ses enfants ; un M. Jourdain
ou un Argan sacrifiant leur famille à leur folie : voilà des situations assez peu comiques en elles-mêmes. Et Molière
n’esquive pas , comme on le dit parfois à tort, les scènes sérieuses . Quel pathétique dans les explications d’Alceste
et de Célimène ! Quelle frisson passe dans la salle, quand au vieil Harpagon, qui maudit son fils, le fils répond :
« Je n’ai que faire de vos dons ! » Et l’on éprouve je ne sais quelle « terreur bourgeois »
quand, Argan contrefaisant le mort , Béline entonne son cynique couplet de triomphe . Mais si Molière , sent et nous fait sentir les profondeurs tragiques de ses sujets, il ne s’y arrête jamais longuement ; il dissipe très vite l’impression sérieuse , à laquelle il semble qu’il
ait cédé malgré lui, par la force même des choses. Entre Alceste et Célimènte
qui se font souffrir , apparaissent inopinément ou l’envoyé des maréchaux , ou le valet Dubois ; l’arrivée
subite de La Flèche tenant la cassette , après la scène de la malédiction,
nous fait rentrer brusquement dans l’intrigue : la « résurrection » d’Argan et la fuite de Béline
nous ramènent à la farce. Et l’ensemble
de la pièce nous emporte d’un irrésistible entrain dans le rire et dans la gaîté . - Molière est un contemplateur qui d’abord devait s’attrister devant la vie, comme le prouvent
ses grands yeux mélancoliques et ses sourcils froncés ; et son premier mouvement , sa tentation , c’était la drame ;
mais disposé d’abord à « prendre les choses au tragique », la
réflexion les lui montre bientôt comme des « folies ». Qui donc a dit : « Le monde est une tragédie pour
celui qui sent, et une comédie pour celui qui pense » ?
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